La Kabbale Rosicrucienne, un manuel d'initiation "pas-à-pas"
(ceci est la prépublication de l'introduction d'un livre de Matthieu Léon à paraître)
II. Quest-ce que la Kabbale Rosicrucienne ?
Comme je l'ai brièvement exposé dans l'introduction, la Kabbale est un apport tardif dans l'enseignement rosicrucien qui est à l'origine plus naturellement porté sur l'alchimie.
Le rosicruciannisme est un courant mystique chrétien qui a hérité des connaissances secrètement transmises depuis l'antiquité par divers courants, pas forcément chrétiens d'ailleurs, venus de l'Orient. Cette connaissance s'est cristallisée dans la chrétienté dans des milieux apparemment aussi différents que l'Ordre du Temple, la Société de Jésus (les jésuites), ou divers monastères, pour apparaître publiquement dans l'Allemagne en pleine réforme avec les trois manifestes célèbres que sont la Fama Fraternitatis (1614), la Confessio Fraternitatis (1615), et les Noces Chymiques de Christian Rose+Croix (1616). Ces trois publications décrivent l'histoire et les règles de l'ordre, ainsi que des éléments de doctrine présentés sous une forme légendaire dans le dernier texte.
Ce terme "Manifestes" a un sens de public, voire politique, puisque ces textes proposent une réforme non seulement individuelle, mais sociale (L'auteur présumé de ces manifestes, Jean Valentin Andreae écrira plus tard une une "Société idéale rosicrucienne"). Il s'agit bien d'une expression, certes partielle, d'un mouvement de pensée. Cette manifestation publique provoquera en Europe un engouement important pour la science rosicrucienne, principalement alchimique rappelons-le, et un développement relativement organisé (surtout en Allemagne) en cercles d'études.
Le plus connu de ces cercles est la société Gold und Rosenkreutz (Ordre de la Rose+Croix d'Or) dont l'histoire est intimement liée à la publication de deux manuels majeurs dans le rosicruciannisme : la Nature Dévoilée (ou "Chaîne d'Or d'Homère" Frankfurt 1723, et Paris 1772 pour la traduction française) pour l'enseignement alchimique, et la Kabbale Dévoilée (Kabbalah Denudata, 1677) de Knorr von Rosenroth pour la Kabbale. Cette société prestigieuse aura de nombreux avatars, jusqu'à aujourd'hui, mais il n'est pas notre but que d'en faire l'histoire, pour cela, je renvoie le lecteur à la bibliographie.
Kabbalah Denudata est une traduction partielle du Zohar, augmentée de divers textes d'auteurs classiques de la Kabbale (Isaac Luria, Moïse Cordovero entre autres). On y remarque aussi le fameux "Aesh Metzareph" (Feu Purificateur, ou "Feu de l'alchimiste" d'après son traducteur français Georges Lahy) qui est un livre inconnu jusqu'à sa traduction latine par Knorr. Ce petit texte semble être un traité d'alchimie très obscur et très original qui donne des correspondances entre les métaux, des figures géométriques et numériques inédites, en rapport avec une interprétation du récit de la création biblique. C'est l'un des rares témoignages d'une école alchimico-kabbalistique très originale qui reste à étudier.
Les extraits du Zohar traduits dans KD sont des textes satellites au récit central (je rappelle que, de manière simplifiée, le Zohar s'articule autour de dialogues édifiants entre plusieurs rabbins célèbres de l'antiquité qui discutent et commentent l'ancien testament au hasard de leurs voyages et de leurs rencontres) : la "Petite et sainte assemblée" (Idra Zouta Quadisha), la "Grande et sainte assemblée" (Idra Raba Quadisha), et le "Livre du mystère caché" (Siphra Dzenioutha ). Les extraits choisis sont visiblement les plus kabbalistiques, d'apparence moins utile à la religion populaire et relativement détachés du contexte juif. Le symbolisme très riche et très imagé inspirera plus tard les rédacteurs du rituel de l'Ordre Hermétique de l'Aube Dorée.
Le grand kabbaliste Isaac Luria (1534-1572) surnommé "Ari" (Le Lion) qui lui aussi s'inspirera énormément du Zohar et qui est également présent dans la Kabbalah Denudata, est une figure majeure de la Kabbale (voir plus loin le chapitre "La Kabbale classique" en appendice). Son inspiration féconde est intéressante notamment par le fait qu'il propose un système complexe et cohérent qui impressionnera énormément les générations suivantes jusqu'à aujourd'hui, alors qu'il n'est pas toujours fondé sur des bases très solides ou des sources très sûres.
Pour l'étudiant kabbaliste de la Gold und Rosenkreutz ou de l'Aube Dorée plus tard, étudiant chrétien en général, la Kabbale est une cosmologie pratique. L'axe général est l'Arbre de Vie, qui fait le lien entre le monde spirituel et notre monde "matériel", entre le Créateur et le kabbaliste. Cet arbre, que l'on appelle aussi Arbre sephirothique, est composé de 10 niveaux, les 10 sephiroth, qui sont eux-mêmes composés d'innombrables subdivisions (c'est une manie très courante chez les occultistes que de tout complexifier et tout systématiser à outrance alors que la quête reste celle de l'unification. C'est un réflexe du mental qui a besoin de créer ces repères pour ne pas perdre le contrôle de la situation… fatale erreur…). À ces niveaux de l'existence sont attribués des noms et diverses correspondances viennent s'ajouter. Ces attributs sont utilisés rituellement pour baliser et nourrir le chemin initiatique.
À l'époque de la Rose Croix d'Or, il existait, en dehors de l'enseignement de Aesh Metzareph qui est tout-à-fait original, des liens entre la voie kabbalistique et la voie alchimique. Les gravures de l'Amphithéâtre de la Sagesse Éternelle (1595) ((illustration)) de Henri Khunrath qui s'intègre totalement dans cette tradition en témoigne. Mais cet aspect "Ora et Labora" (prie et travaille) a depuis disparu, et avec lui a malheureusement disparu toute la pratique alchimique dans l'enseignement de l'Aube Dorée, bien qu'un très court texte symbolique à la fin du document Z2 en fasse référence (reproduit dans notre "Dogme & Rituel de l'Aube Dorée", bibliographie).
Ces liens étaient de deux sortes. D'une part on trouvait des rituels kabbalistiques associés à la prise d'élixirs alchimiques ou, au contraire, l'élaboration de ces élixirs en pratiquant des rituels kabbalistiques correspondants. Il s'agit par exemple de faire un rituel de purification lors d'une cure d'un élixir de régénération, ou encore prendre un élixir solaire pendant une retraite consacrée à la rencontre avec son Ange Gardien. D'autre part, on pouvait se servir de travaux correspondants dans les deux aspects du travail initiatique pour contrôler la validité respective des résultats obtenus, ce qui peut être très utile quand on sait à quel point le travail kabbalistique peut être impondérable et abstrait, par exemple : "Pourquoi mes distillations d'esprit-de-vin n'aboutissent-elles pas alors que je suis persuadé de parfaitement maitriser mes pensées lors de mes méditations ?" Cela évite de penser que l'on "avance" sur le sentier alors que l'on est complètement enlisé sans s'en rendre compte…
Aujourd'hui, avec le renouveau alchimique qui s'opère en France, cette façon de travailler de pair la kabbale et l'alchimie, ainsi que l'a fait LPN finalement, va sans doute être profitable à de nombreux étudiants. Ce pourrait être le sujet d'une suite à cet ouvrage (avis aux amateurs !).
Kabbale juive et kabbale chrétienne
La kabbale est essentiellement une tradition mystique juive basée sur la bible hébraïque, que les chrétiens appellent l'Ancien Testament.
La renaissance qui a exhumé l'antiquité dans le monde chrétien, a créée un mouvement syncrétique qui tendait, dans le domaine qui nous concerne, à réunir la religion et la mystique juive avec le christianisme selon peut-être les paroles de Jésus qui exprimaient le fait que le christianisme n'était pas une religion destinée à abolir le judaïsme, mais à l'accomplir (Matthieu V. 17).
En fait, le but de ce mouvement a été, en apparence tout au moins, plus d'encourager la conversion au christianisme en prouvant l'obsoléïté du judaïsme mosaïque que de chercher à mettre en lumière les sources du christianisme dans la loi juive. La pression sociale et politique favorisait de toutes façons ce mouvement de conversion.
Une nouvelle kabbale chrétienne a ainsi naturellement vu le jour dans ce contexte chrétien, et les études juives ont souvent été limitées aux livres abstraits (ces extraits du Zohar traduits dans la Kabbalah Denudata notamment) et aux méthodes kabbalistiques applicables hors cadre dogmatique comme par exemple, les procédés numérologiques.
Le mouvement rosicrucien, essentiellement chrétien, s'est ainsi approprié cette Kabbale convertie : la Kabbale chrétienne.
Or, il existe un ésotérisme de l'ancien testament, une méthode de lecture, qui met en lumière les grands mythes véhiculés par le judaïsme qui seront parfois repris par le christianisme. Par exemple, les naissances de Moïse et de Jésus sont deux expressions d'un même mythe, les personnages ont d'ailleurs beaucoup en commun. Sur le plan politique, la mise en relation était difficile à publier : cela aurait demandé aux deux parties de faire chacune un pas l'un vers l'autre…
L'exotérisme de la kabbale rosicrucienne chrétienne ne développe pas cet aspect de la mystique commune aux deux religions (qui donc n'en font peut-être qu'une finalement) et cette kabbale a surtout le rôle d'enrichir les aspects astrologie et magie naturelle de la trinité hermétique qui tourne autour du point central, l'alchimie. C'est un élément oriental un peu hétérodoxe dans l'hermétisme qui ne trouvera pas toujours sa place dans cette mystique essentiellement chrétienne et alchimique.
Quoiqu'il en soit, les choses ne sont jamais figées et le rosicrucianisme est un courant vivant et donc ouvert à l'évolution. La Kabbale qui a connue un regain d'intérêt et un essor important avec l'Aube Dorée et depuis les travaux de Gershom Scholem a toujours sa place en son sein.
La méthode que je présente maintenant, qui doit évidemment beaucoup à la tradition rosicrucienne, comme je l'explique plus haut, développe aussi cet aspect occulté de la Kabbale juive : la mise en lumière des grands mythes initiatiques et leurs relations avec leurs équivalents du Nouveau Testament. Cette approche peu commune de la kabbale biblique n'a jamais été tellement développée dans la tradition hermétique mais c'est sans doute une clé pour comprendre ce qu'était la mystique biblique originelle, c'est à dire la tradition qui s'est bientôt cristallisée dans l'alchimie, la magie naturelle et la kabbale.
De plus, j'ai choisi de développer un peu l'art de la prière qui a été négligé depuis l'avènement de la raison et le rejet ou la pudeur à propos des pratiques trop religieuses… La prière, qui inspirera l'invocation, est omniprésente dans l'enseignement rosicrucien et la plupart des ouvrages de kabbale ou d'alchimie commencent par une prière.
Enfin, un dernier aspect de la pratique que je développe ici et qui est à la fois très traditionnelle et totalement universelle est la méditation, méditation sur les symboles, les lettres &c… Cette pratique ne comporte aucun aspects dogmatiques et n'a donc jamais posé de problèmes à quelque école que ce soit… c'est rare et pratique ! et c'est aussi rosicrucien…
chapitre précédent : Introduction
chapitre suivant : Comment étudiait-on au sein de l'Aube Dorée ou avec LPN ?
Bonus Internet : un article de Laurent Motte sur la cabale chrétienne de Jean Reuchlin : LE PROJET DE JEAN REUCHLIN DANS LE DE ARTE CABALISTICA publié ici :
http://www.contrelitterature.com/archive/2015/04/26/christianisme-cabale-5610758.html